Crédit photo : Max Prat
Crédit photo : Max Prat

Repenser notre résilience face aux crises : un enjeu local

Depuis plusieurs semaines, nous faisons face à une crise sanitaire grave, qui pose de nombreuses questions : Comment peut-on anticiper, s’adapter, rebondir à un ébranlement ? Le concept de “résilience“ est au coeur de la réponse. L’enjeu est donc de comprendre quelles mesures peuvent être mises en place en amont d’une crise, mais aussi à l’instant T pour faire face de manière structurelle aux risques majeurs, qu’ils soient climatiques, énergétiques, alimentaires ou sanitaires.

 

 

Alors que notre société traverse une crise sanitaire sans précédent qui bouleverse le mode de vie de milliards de citoyen·nes dans le monde, il est plus que jamais temps de se poser des questions sur la résilience de nos sociétés hautement interdépendantes, notamment à l’échelle de nos territoires. 

Si cette crise met en avant nos fragilités, elle a aussi permis l’éclosion d’actions de solidarité dans tous nos territoires, et d’initiatives structurantes et nécessaires. Les collectivités locales doivent être l’échelon clé pour réaliser la métamorphose de notre société et de nos territoires. Cela doit nous permettre d’être davantage résilient·es face aux crises comme celle que nous vivions, dont nous savons qu’elles se multiplieront dans les décennies à venir, notamment en raison du dérèglement climatique en cours (Haut Conseil pour le Climat). Les collectivités ont les outils et compétences dans des domaines essentiels pour un changement de système au niveau de l’énergie, de la mobilité, de l’aménagement du territoire et de la gestion du foncier agricole. Cela leur donne les moyens pour agir concrètement :

  • elles peuvent aider à la structuration de la filière paysanne pour permettre la production et la distribution de produits locaux, biologiques et favoriser une consommation moins carnée,
  • elles peuvent relocaliser leur production énergétique et réduire leur consommation pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles et au nucléaire,
  • elles peuvent développer les transports en commun et les modes de transports doux comme le vélo pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (Réseau Action Climat). 

Portées par les citoyen·nes et de nombreux·ses élu·es pendant le confinement, de telles initiatives démontrent le pouvoir qui existe au niveau des territoires dans l’action sociale et l’invention d’un monde d’après plus écologique.

 

Témoignages et retours d’expériences : quelques initiatives exemplaires portées par des collectivités 

Pour illustrer ces dynamiques, nous avons sélectionné des initiatives créatives et solidaires réalisées par des élu·es locaux·ales pendant ce temps de confinement : ces initiatives qui vont dans le sens d’une meilleure résilience des territoires dans le futur.

 

 

Distribuer et produire localement et avec des modes résilients

Face aux difficultés des agriculteur·ices et des commerces locaux pour maintenir une activité et des revenus pendant le confinement, mais aussi pour faire face à l’afflux de personnes dans les supermarchés, de nombreuses collectivités locales telles qu’Arnas avec son drive local, Saint-Jean-Pied-de-Port où les produits bio et locaux, habituellement fournis aux cantines scolaires sont vendus en direct aux consommateur·ices, ou la région Occitanie avec sa plateforme en ligne, ont pris l’initiative avec les producteur·ices de favoriser les circuits courts pour répondre aux besoins des consommateurs. Cette aide à la distribution passe par plusieurs outils : mise en place d’un annuaire en ligne pour recenser les producteur·ices locaux·ales et plateformes qui permettent d’assurer la commande en ligne et la distribution, mise en place de bons de commande distribués dans les boîtes aux lettres, développement d’AMAP dans des locaux de la municipalité. Ce sont autant d’initiatives qui ont permis de répondre à ces besoins. Chambéry a par exemple lancé une plateforme éthique en ligne de commande et livraison directe aux consommateurs, qui rassemble une soixantaine de producteur·ices locaux·ales. Ce site a été mis à disposition gratuitement par le Grand Chambéry et a pour but de se pérenniser au delà du confinement (La Tribune). 

Ce type d’initiative des collectivités locales a émergé dans tous les territoires français, favorisant la résilience des filières paysannes locales, une vente au juste prix et la création d’un tissu social entre les producteur·ices et les citoyen·nes souvent inexistant, même en ruralité. 

En quoi est-ce une mesure structurante ? L’agriculture est le secteur le plus impacté par le dérèglement climatique (sécheresses, inondations, canicules, etc.). Il est donc important de construire des systèmes agricoles et alimentaires résilients. Or, les modes de production agricole les plus respectueux de l’environnement sont en général les plus résilients (agriculture biologique, agroforesterie, etc.). Le respect des saisons et le développement ainsi que l’optimisation de circuits courts (magasins de producteur·ices, AMAP, carrés bio local dans les marchés de plein air, épiceries solidaires, etc.) participent également à un système alimentaire territorial aux nombreux bénéfices pour l’environnement, l’économie locale et l’accessibilité de tou·tes à une alimentation de qualité.  Par ailleurs, la production locale permet de sortir de la dépendance à des chaînes alimentaires trop lointaines et complexes, sécurisant et rapprochant la production de la consommation.

 

Aider les plus démuni·es : une priorité dans l’accès à l’alimentation durable

Alors que 20% du budget des ménages est consacré à l’alimentation, se nourrir de produits bios et locaux n’est pas à la portée de tous. Ainsi, en cette période de confinement, en l’absence de cantines scolaires gratuites, avec la baisse de revenu et le chômage partiel (Huffington Post), les actions de distribution de produits locaux ont souvent pris une réelle dimension solidaire avec la possibilité de faire des dons de “paniers suspendus” alimentaires aux personnes les plus démunies comme l’a mis en place le département de la Gironde (France 3). La commune d’Ychoux, dans le département des Landes, a pour sa part établi la distribution de colis alimentaires en partenariat avec les Restos du Coeur, la Croix Rouge, la Banque Alimentaire de Bordeaux et les agriculteur·ices locaux·ales (France Bleu Landes).

En quoi est-ce une mesure structurante ? Avoir accès à une alimentation saine et durable ne doit pas être l’apanage des plus riches. Il faut savoir que 5,5 millions de personnes ont désormais recours à l’aide alimentaire, un chiffre qui a doublé depuis 2009. Par ailleurs, l’agriculture, et donc ce que l’on mange, est le second secteur le plus émetteur en gaz à effet de serre en France. Il est donc nécessaire de mener des politiques locales permettant à toutes et tous, et en priorité aux plus démuni·es, d’avoir accès à une alimentation moins carnée, locale et biologique.

 

 

L’urbanisme tactique : remettre le vélo au cœur de nos déplacements

Sur un autre front, les communes s’organisent pour favoriser des modes de transport qui réduisent les risques de contamination au covid-19 entre leurs usagers, tels que le vélo. Enjeu d’avenir crucial dans les villes, l’aménagement urbain pour développer les mobilités douces s’accélère avec les préoccupations de distanciation sociale post-confinement. La baisse d’activité routière dans de nombreuses villes permet aux élu·es de débuter des travaux longtemps repoussés sur leur territoire. Montpellier a ainsi été la première ville de France à réaménager les voies publiques en faveur du vélo, à la fois de façon pérenne et dans le cadre d’un urbanisme tactique pour réduire l’affluence dans les transports en commun et encourager de nouveaux usagers à utiliser le vélo (Gazette Live). De nombreux autres territoires planifient de tels aménagements, dont la région Ile de France où le déconfinement sera à haut risque pour les re-contaminations. La présidente de la région, Valérie Pécresse, souhaite y mettre en place des pistes cyclables temporaires sur le tracé du RER pour désengorger les transports en commun et éviter les embouteillages à la fin du confinement (Le Figaro). Alors que cette période de confinement inédite nous a permis d’expérimenter l’amélioration de la qualité de l’air et le retour de la biodiversité en ville liés à la baisse du trafic automobile, il est fondamental pour les élu·es locaux·ales de réfléchir dès maintenant à la manière dont ces mesures temporaires pourraient être maintenues de manière définitive. Nous aurions toutes et tous intérêt à continuer de bénéficier de l’amélioration nette de la qualité de vie et de notre santé permise par la baisse de la pollution de l’air et de la pollution sonore en zones urbaines. 

 

 

En quoi est-ce une mesure structurante ?  Le retour des piétons et des cyclistes en ville est indissociable d’un projet de « ville sans voiture » alors que le  secteur du transport est le premier émetteur de gaz à effet de serre en France avec 31 % des émissions. Comme le montre l’expérience des Pays-Bas, pour augmenter la place du vélo dans les déplacements quotidiens il faut proposer des vraies pistes cyclables sécurisées et des véloroutes permettant de faire des longues distances à vélo. Au delà des aménagements cyclables, plusieurs facteurs facilitent la pratique de ce mode de transport, comme le développement des offres de stationnement ou un système facilitant la location vélo toutes durées, électriques ou non, et des systèmes qui permettent la réparation des vélos.

 

Réduire la consommation énergétique : une priorité pour plus de sobriété

La réduction de la consommation énergétique est prioritaire à Orsay où le maire David Ros affirme que la commune souhaitait mettre en place cette mesure depuis plusieurs mois et prévoit de la pérenniser si les retours des habitant·es sont positifs, avec un éclairage coupé de 23h à 5h du matin dans une large partie de la ville (Le Parisien). Dans la ville de Grasse, la mairie a décidé d’éteindre dès le mardi 14 avril au soir 30% de son éclairage public, soit une grande partie des dessertes résidentielles dont l’éclairage n’est pas nécessaire. Pour la mairie, “cette expérimentation dont l’application est accélérée compte tenu de la crise que nous traversons engage la ville de Grasse dans une nouvelle démarche environnementale qui vise la réduction des consommations énergétiques électriques et la préservation de la nuit à destination de toute la nature” (Nice-Matin).

En quoi est-ce une mesure structurante ? Outre l’intérêt écologique majeur, la consommation d’énergie du patrimoine des communes représente une dépense d’environ 48 euros par an et par habitant, soit 5% du budget général des communes ! La collectivité peut donc agir sur son propre patrimoine (consommation d’énergie, rénovation, mais aussi éclairage public) pour réduire la facture globale énergétique, et donc la dépendance aux énergies nucléaire et fossiles.

 

Co-construire le jour d’après au niveau local avec les citoyen·nes : quand résilience rime avec transparence

Face à une telle crise, il est nécessaire de penser au “jour d’après”. Afin d’anticiper les mesures à mettre en œuvre, plusieurs communes ont mis en place des mécanismes de co-construction pour permettre aux citoyen·nes de faire entendre leur voix et de porter des mesures concrètes. A Kingersheim (Haut-Rhin), la commune mise sur la démocratie continue pour répondre à la question “comment construire le monde d’après ?”. Pour ce faire, ils impliquent massivement et durablement les citoyen·nes et leur donnent le pouvoir d’agir. De même, à Loos en Gohelle (Pas-de-Calais), la collectivité cherche à impliquer les citoyen·nes dans la définition des futures politiques menées, mais aussi dans la gestion des projets concrets comme la production d’énergies renouvelables. En effet, la résilience implique pour cette collectivité d’être autonome sur des secteurs stratégiques, tout en laissant la gestion de ses biens entre les mains des citoyen·nes et non d’acteur·ices privé·es. 

En quoi est-ce une mesure structurante ? Une politique publique locale doit inclure les différent·es acteur·ices présent·es sur les territoires afin de rendre sa politique à la fois réaliste, acceptable, transparente et pérenne. Il s’agit d’impliquer toutes les parties prenantes d’un territoire et de s’appuyer sur les ressources qu’elles constituent pour identifier les sujets à traiter en priorité et construire ensemble les réponses. Compléter le système de démocratie représentative par davantage de démocratie directe et délibérative, permet aux citoyen·nes de se réapproprier les décisions qui les concernent dans leur commune ou leur quartier. Co-construire n’est par ailleurs pas une mince affaire : il faut repenser les processus de participation de manière inclusive, que ce soit les sujets abordés, la communication, l’information et la formation, le lieux et les horaires…

 

 

La résilience, une notion qui nécessite des politiques d’ampleur sur le long terme

De l’importance d’une réponse adaptée et localisée

Toutes ces initiatives nous montrent que l’échelon local est un espace charnière pour répondre à cette crise sanitaire : les territoires connaissent et identifient les besoins des populations et peuvent proposer des réponses adaptées ainsi que venir en aide aux personnes les plus démunies. En effet, les citoyen·nes ne sont pas égaux·ales face à cette crise sanitaire qui touche bien plus durement les personnes en situation de précarité, les mal logé·es, les SDF, les personnes âgées et les femmes notamment, ce qui nécessite une réponse axée sur la solidarité et la justice sociale.

Si les citoyen·nes ne sont pas égaux·ales face à cette crise, les territoires aussi ne sont pas touchés de la même manière. Face aux différences d’impacts sur nos régions, nos départements, nos villes, nos quartiers, l’échelon local illustre les disparités qui existent entre des territoires et qui nécessitent des réponses adaptées à la population, à l’économie locale, à la production agricole, aux forces et moyens disponibles, etc. 

 

Généraliser, pérenniser et développer ces initiatives pour rendre les territoires résilients

Les territoires doivent être impliqués et doivent avoir un rôle moteur dans la construction de cette alternative qu’est “le jour d’après”. Ils en ont le devoir, les compétences et les moyens, comme le prouvent toutes ces initiatives. L’objectif ? Rendre nos territoires plus résilients et capables d’anticiper, de rebondir et de s’adapter aux crises, et notamment à la crise climatique.

Cela doit passer par la métamorphose de notre modèle d’aménagement, de consommation, de production, de déplacement : des thématiques sur lesquelles les collectivités ont des compétences clés. Les collectivités territoriales peuvent agir en mixant d’avantage l’habitat et le lieu de travail, en limitant l’étalement urbain qui est source de déplacements, en ramenant en centre-ville les commerces indispensables, en donnant davantage de place aux mobilités actives et en limitant les véhicules les plus polluants pour diminuer la pollution de l’air, en renforçant les coopérations entre les villes et les territoires ruraux alentour pour l’approvisionnement alimentaire, en relocalisant la production d’énergie et en développant les énergies renouvelables pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles et nucléaire, en interdisant ou en limitant la place de la publicité qui pousse à une consommation effrénée, en favorisant l’agriculture durable et locale etc. 

Rendre nos territoires plus résilients implique des moyens à la hauteur des enjeux : si les collectivités peuvent agir, cela nécessite un soutien méthodologique et financier de la part du gouvernement, financements qui doivent nécessairement cibler le développement de projets qui permettent d’enclencher une trajectoire climatique et sociale juste.

L’occasion nous est donnée de réorienter très profondément les systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et les axer sur le rétablissement des grands équilibres écologiques.

Références de recommandations pour une transition climatique ambitieuse et juste :

 

Pour en savoir plus

Le replay de notre conférence en ligne sur “Comment rendre les territoires résilients face aux crises ?” avec la participation d’élu·es locaux·ales, de spécialistes et de citoyen·nes est disponible !

 

 

  • 29 avril 2020