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Agriculture

Au Pays basque, les paysans ont créé leur chambre d’agriculture alternative

Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG – chambre d’agriculture basque - en euskara, la langue basque) est une association pour aider les paysans créée en 2005. Endossant le même rôle qu’une chambre d’agriculture départementale sans pour autant être reconnue comme un office public, elle encourage une politique agricole différente de celle des chambres officielles.

  • Ainhice-Mongelos (Pyrénées-Atlantiques, nord du Pays basque), reportage

Quand Michel Berhocoirigoin arrive dans l’ancien hôtel qui abrite le siège de Euskal Herriko Laborantza Ganbara, il passe la tête dans chaque bureau pour saluer les employés d’un « adio » (salut) et échanger quelques mots. Le paysan de 68 ans désormais à la retraite a une carrière bien remplie derrière lui qui en fait une personnalité connue du Pays basque. Président d’EHLG à sa création, il a fait partie des fondateurs du syndicat basque ELB (Euskal herriko Laborarien Batasuna — syndicat des paysans basques) en 1982. ELB s’est rattaché à la Confédération paysanne lors de sa constitution en 1987. M. Berhocoirigoin en a été secrétaire général.

Dans les bureaux, chaque personne a sa spécialité. Iker Elosegi, coordinateur de EHLG, détaille : « Deux personnes travaillent sur l’élevage, une personne sur l’agronomie et la production végétale, une sur les questions d’eau… » Une vingtaine de personnes sont employées par la structure, qui vient de fêter ses quinze années d’existence. Son slogan : « Pour une agriculture paysanne et durable au Pays basque ». « On préfère toujours trois petites fermes à une grande », souligne le coordinateur. Au Pays basque, la taille des exploitations agricoles est deux fois plus petite que la moyenne française et la densité de paysans y est plus importante qu’ailleurs. Une spécificité que EHLG a à cœur de maintenir.

L’opposition de l’association à l’agriculture productiviste et aux politiques menées par la chambre d’agriculture départementale des Pyrénées-Atlantiques, où la FDSEA a toujours emporté les élections, fait partie de son histoire. Dans ce département bicéphale, divisé entre le Béarn et le Pays basque, ELB se revendique majoritaire dans la partie basque depuis les élections de 2001. Michel Berhocoirigoin en est persuadé : « Deux types d’agriculture se confrontent. Le discours dominant veut qu’il y ait de la place pour toutes les agricultures. Cela est faux : l’une est prédatrice de l’autre. »

Michel Berhocoirigoin.

Figure des luttes paysannes, Michel Berhocoirigoin est l’une des mémoires vives de ce que furent les batailles menées pour aboutir à la création de structures alternatives : « On ne s’est pas réveillés un matin en disant “j’ai eu l’idée”, c’est un processus long. » Il enchaîne : « Notre génération et celle qui nous précédait étaient issues de la JAC (Jeunesse agricole chrétienne). On est arrivé dans la période qui suivait mai 68, avec des idées et des analyses nouvelles. On voulait casser les carcans du monde paysan et rural. »

Lorsque Roquefort société, rachetée depuis par Lactalis, qui achetait le lait de brebis, principale production agricole au Pays basque, a baissé ses prix, les éleveurs ovins basques décidèrent de changer de crémerie : plutôt que de prendre le chemin du productivisme et de l’intensification, comme le préconisait la chambre d’agriculture départementale, ils choisirent de garder les races rustiques de brebis bien adaptées à leurs montagnes mais moins productives que la lacaune. L’appellation Ossau-Iraty émergea alors. « Cela a tracé le sillon du travail que l’on a effectué et élargi ensuite : il faut qu’on organise notre agriculture à partir des potentialités qu’offre notre territoire », dit Michel Berhocoirigoin, qui était éleveur de vaches laitières.

Ont suivi la création de plusieurs structures, un groupement foncier agricole (GFA) pour le rachat des terres, puis le syndicat d’ELB (Rassemblement des paysans du Pays basque) a vu le jour en 1982, issu d’une scission au sein de la FDSEA, seul syndicat agricole existant alors : « Avant de quitter la FNSEA, on a eu un débat : fallait-il lutter de l’intérieur ? Mais la seule valeur de l’union, c’est quand on a les mêmes intérêts. On ne voulait plus rassembler le renard et la poule dans le même poulailler. » L’un des piliers du syndicat ELB fut aussi le choix de la non-violence dans un contexte politique où ETA (organisation de lutte armée aujourd’hui dissoute) était très active.

Iker Elosegi, coordinateur de EHLG.

Lorsque ELB a commencé à faire jeu égal avec la FNSEA pour la partie basque dans les urnes en 1995 — mais il a été écarté de toute délégation à la chambre départementale —, les paysans ont lancé une bataille pour obtenir une chambre d’agriculture en Pays basque. « Le modèle agricole de la chambre départementale ne correspondait pas au développement que l’on voulait pour l’Iparralde (Pays basque du nord des Pyrénées, c’est-à-dire la partie du Pays basque située en France, la partie sud étant située en Espagne). » En 2003, décision fut prise par les militants de passer outre l’avis de l’État français, qui s’opposait à la création d’une deuxième chambre d’agriculture dans un même département. Le 15 janvier 2005, EHLG vit le jour sous le statut associatif. « Ils nous ont sous-estimés, cela faisait des mois qu’on annonçait publiquement la création de cette chambre alternative mais le préfet n’a réagi que huit jours avant. » Plainte au pénal, perquisitions, convocations, menaces sur les communes qui leur attribuaient des subventions, l’État français n’épargna pas la jeune structure : « Pendant trois ans on a passé l’essentiel de notre temps aux tribunaux. » Cependant, l’État a perdu tous les procès.

Promouvoir l’agriculture paysanne

Désormais normalisée, la structure travaille dans un contexte plus serein. Une partie de son financement vient des subventions versées par la région Nouvelle-Aquitaine, l’Agence de l’eau, le département des Pyrénées-Atlantiques ou le gouvernement basque espagnol. Mais 20 % de son budget provient toujours de dons privés, issu de l’élan de sympathie qu’il avait suscité lors des manifestations pour sa création.

le siège de Euskal Herriko Laborantza Ganbara est un ancien hôtel.

« On essaye de répondre à toutes les demandes qui viennent du monde paysan », précise Iker Elosegi. Le leitmotiv est de partir de la réalité du terrain et de tenter de construire une agriculture respectueuse des hommes et de l’environnement : « L’agriculture paysanne n’a pas des limites claires : on veut aller vers quelque chose et on prend les gens là où ils sont. » Les agriculteurs qui poussent la porte d’EHLG peuvent se faire accompagner pour une formation, un diagnostic, une (re)conversion, une transmission de ferme, etc. Mais la structure s’empare aussi de sujets aux marges du monde agricole. En arrivant en 2008 au sein de l’association, Iker Elosegi a été happé par le dossier sur la qualité des eaux : « J’ai l’habitude de dire que je me suis noyé dans la Nive. » Il garde un œil sur cette problématique et tance la nouvelle communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB), qui a repris cette compétence depuis sa création il y a trois ans et « qui n’a pas su assurer la continuité. Aujourd’hui, c’est au point mort. »

L’assemblée plénière de l’association regroupe des personnes de la société civile, d’associations environnementales, des consommateurs. C’est aussi le pari d’EHLG : tous ceux qui s’intéressent à l’agriculture ont leur place dans le fonctionnement. M. Berhocoirigoin l’a toujours perçu comme une évidence : « L’agriculture est un sujet qui ne concerne pas que les paysans. Les chambres d’agriculture départementales se voient comme autant de forteresses assiégées par les écologistes et les consommateurs. Pour faire l’unité, elles jouent sur l’idée qu’on est agressé de l’extérieur, c’est très dangereux. »

Depuis la création d’EHLG, les paysans organisent Lurrama, le salon de l’agriculture paysanne à Biarritz, un moment privilégié pour montrer au reste de la société, notamment les citadins, les pratiques agricoles menées dans les fermes. Pour Iker Elosegi, leur réussite la plus évidente est là : « Le lien avec les autres citoyens est gagné. Lurrama et nous y sommes pour beaucoup. » Et pour le reste ? Il hésite : « Mon impression est que le monde paysan est de plus en plus sensible à : qu’est-ce que l’agriculture de demain ? Une série de choses poussent les paysans à chercher d’autres manières de faire. Ça, c’est la version optimiste. La version pessimiste dit que la taille moyenne des ateliers en brebis laitières a doublé en quinze ans. Aujourd’hui, des usines à lait se mettent en place. » Il finit en souriant : « Mais on est d’un naturel optimiste dans cette maison et on veut croire que le boulot qu’on a fait depuis quinze ans a servi ! » Quant à M. Berhocoirigoin, il est persuadé que leur simple existence a déjà contribué à bouleverser le paysage. Il revient de rencontres au siège de la Confédération paysanne, à Paris, avec des agriculteurs d’autres départements qui sont intéressés pour lancer le modèle ailleurs : « On ne demande qu’une seule chose, c’est être copié ! »

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